Binta Pilote : une dame de talent, de cœur et de tête !
Ansoumane Bangoura est un grand nom de la presse guinéenne. Son talent et sa connaissance parfaite de l’histoire de la Guinée sont unanimement reconnus. Il a rendu un vibrant hommage à Fatoumata Binta Diallo ”Binta Pilote”, première femme pilote d’hélicoptère d’Afrique noire, décédée mercredi dernier à Paris.
Comme reporter couvrant le Président Ahmed Sékou Touré, j’ai eu l’avantage de faire plusieurs fois le tour de la Guinée dans “l’hélicoptère de Binta pilote”. Je me dois de rendre hommage au Colonel Binta Diallo, incarnation magnifique de la Guinéenne libérée, émancipée, épanouie, responsable. Binta pilote me plaisait à voir aux manettes de sa machine. Elle me charmait lorsque, fière et altière, elle était aux honneurs et présentait ses respects au Chef de l’État au bas de l’échelle de coupée de sa machine. Elle m’épatait lorsqu’elle consentait à dire un mot de sa machine. Elle était serviable et aimable à tout le monde. Elle était obéissante à sa hiérarchie et singulièrement au Chef de l’État. Courtoise et obéissante, elle n’en était pas moins réfractaire à tout ordre ne convenant pas au bien et aux normes de sa machine. Elle n’hésitait pas à dire non, même au Responsable Suprême de Ia Révolution.
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Nous allions à Boffa avec le Président .Comme toujours, Ahmed Sekou Touré nous a fait faire des tours et des détours à n’en pas finir. Tout le long du trajet, partout où nous repérions une forte mobilisation des militants, il ordonnait à Binta de se poser. On eût dit des sauts de puce. Bourgs et faubourgs, hameaux et villages, bains de foules, entretiens, visites de champs et de plantations ici et là ; on atterrit, on reprend les airs. Toute à son plan de vol et à ses évaluations de l ‘ autonomie de carburant, Binta ne disait mot, malgré l’ambiance de détente et de causeries chaleureuses dans l’hélicoptère. Ça chahutait à tout rompre ; ça riait à tout casser jusqu’au moment où Binta annonça calmement qu’on allait se poser dans une clairière plus anonyme que le dernier des lieu-dits. Etonnement ! Questionnements ! Binta n’en avait que pour son tableau de bord et pour ses manettes. De mains de maître, elle posa sa machine, et se pressa d’en descendre pour rendre les honneurs au Chef de l’État et lui présenter ses respects comme prescrit. Ceci fait, et toujours dans un garde -à -vous impeccable, à la question de savoir pourquoi nous poser dans ce rien de nulle part, elle répondit sans sourciller : “nous manquons de carburant”. Ne se laissant jamais convaincre au premier mot, le Président insista ; “il y a suffisamment de carburant pour nous emmener à Boffa”. Sans rien perdre de son aplomb ni de sa correction, Binta, finit par lâcher : “camarade Responsable Suprême de la Révolution, il se fait tard; il nous semble indiqué de hâter une commission à la station de carburant la plus proche au risque de passer la nuit sur place. “Le Président dut se résoudre à la raison de la pilote restée inflexible, intransigeante sur sa décision. Entre temps, aayant aperçu l’hélicoptère survoler leurs localités, les responsables et les militants de tout alentour avaient accouru et se sont réjouis de la visite même involontaire du Président. C’est avec joie et empressement qu’ils se sont employés à faire ce qu’il fallait faire pour nous tirer de ce mauvais pas. Binta Pilote disant fermement non au Responsable Suprême de la Révolution, que voilà un sujet de plaisanterie et de taquinerie
gracieusement offerte à Elhadj Saifoulaye Diallo.
Telle était le Colonel Binta Diallo dite Binta Pilote : apte et responsable. Paix à son âme.